Thérapie génique : défis, enjeux et limites
Avec un financement qui atteint les 12 milliards de dollars -selon les chiffres de [1] l’Alliance for Regenerative Medicine (ARM)- depuis le début de l’année, la thérapie génique est une filière aux promesses thérapeutiques innovantes. Nous avons tendance à croire que la thérapie génique n’adresse exclusivement que les maladies extrêmement rares et pour lesquelles aucun traitement efficace n’a encore été trouvé. Pourtant et contrairement à cette pensée répandue, si l’on s’attarde sur les études en cours, on se rend compte que la thérapie génique traite aussi les maladies répandues et pour lesquelles des traitements existent déjà. Nous comprenons alors rapidement qu’à terme, les traitements de thérapie génique ne cibleront plus uniquement des maladies orphelines, mais des pathologies plus larges et communes aux populations.
De cet état des lieux découle alors de nombreux défis sociaux, scientifiques, techniques, financiers et réglementaires auxquels trouver des réponses adéquates n’est plus une option, mais une nécessité.
Pour PERSUADERS RH, cabinet de recrutement et formation présent dans plusieurs secteurs du marché dont celui de la santé et de la thérapie génique, le partage de connaissance est une valeur clé, d’où notre volonté de vous proposer une synthèse du webinaire « Thérapie Génique, une filière d’exception (s) » organisé par Pharmaceutiques.
La thérapie génique ou une filière aux verrous complexes
Prouver l’efficacité et la sécurité des traitements
La thérapie génique a connu un frein considérable suite aux événements indésirables survenus durant 2003 laissant la population sceptique face à ce type de technologie. Plus de vingt-ans plus tard, nous voici pourtant inondés d’actualités sur les avancées en thérapie génique avec notamment sur la fin du troisième trimestre 2020, 373 essais cliniques en cours dont plus de 60% uniquement en cancérologie.
Un des premiers points qui se pose est donc bien évidemment l’efficacité ainsi que la sécurité de ces traitements sur le long terme. Si le monde scientifique a retenu les erreurs des années 2000 et a considérablement évolué dans ce secteur, il existe encore un véritable besoin de créer une plateforme capable d’évaluer les effets de ces thérapies sur les patients.
À la genèse de cette thérapie, les travaux historiques de Marina Cavazzana et d’Alain Fischer visaient des populations réduites et atteintes de maladies rares alors qu’aujourd’hui, l’expansion des thérapies géniques à des maladies bien plus communes pose aussi un second problème dans l’évaluation des patients sur le long terme. En effet, si la filière souhaite toucher un panel de patients conséquent, il est primordial de mener une réflexion approfondie sur cette notion de plateforme et sur les modes d’administration de ces thérapies. Comme l’indique le Pr Jean-Hugues TROUVIN, Professeur des Université et Praticien Hospitalier honoraire, Université de Paris, AP-HP, « il va falloir mettre en place des critères d’évaluation qui nous permettent des clauses de revoyures comme prévu par la FDA sur le vaccin d’alzheimer, permettant de valoriser la recherche académique jusqu’au développement et à la commercialisation ».
Dans l’élaboration et la production de thérapies innovantes, le point de départ est bien évidemment la recherche du meilleur rapport bénéfice risque pour le patient. Pour atteindre ce rapport de fait, il existe trois principaux défis sécuritaires à relever pour les sociétés de biotech. Selon Gérald PERRET, Directeur des programmes, Généthon, il s’agit tout d’abord de la limitation du off-target. L’adressage précis des tissus à guérir pour éviter de toucher celles n’ayant pas nécessité à être traités ne peut pas voir le jour sans la mise au point de technologies capables de sur contrôler l’expression des tissus visés par la thérapie. À ce frein, s’ajoute aussi la question des nécessaires progrès à faire dans le développement analytique de la caractérisation poussée des produits avant le démarrage d’essai-clinique. Le dernier point technologique à améliorer en termes de safety n’est autre que la connaissance approfondie des traitements co-administrés à la thérapie génique.
La sécurité étant donc un élément clé au développement de ces thérapies, la réglementation européenne s’est dotée d’instruments juridiques à l’évaluation et au suivi sur le long terme du bénéfice risque pour le patient. En résumé, il faut compter suite à l’administration d’une thérapie génique à un patient, un suivi de minimum trente ans. Cependant, il est aussi à mettre en évidence les rouages internes des thérapies géniques dans le sens ou la distinction entre les différentes façon de traiter est un passage obligatoire dans le renforcement et la clarté de la réglementation européenne. En ce sens, faire la différence sur les leviers sécuritaires que posent les thérapies géniques ex-vivo et in-vivo est important, car in fine, la technique ainsi que le type de patients diffèrent au même titre que les considérations sécuritaires qui en découlent.
Les défis à la tarification des thérapies géniques
Les coûts de production des thérapies géniques extrêmement élevés et les incertitudes liées à l’efficacité de ces dernières soulèvent des questions de masse quant à leur tarification. Pour Gérald PERRET, plusieurs leviers économiques sont à revoir, comme par exemple l’augmentation des rendements ainsi que l’amélioration de la productivité dès les premières étapes de production. Quant à Valérie PARIS, Membre du Collège de la Haute Autorité de Santé, elle soulève une autre problématique du manque de données matures de ces thérapies étant donné que les essais sont généralement réalisés sur un petit échantillon de patients. Aussi, se pose un problème d’acceptabilité de ces thérapies aux patients face à l’incertitude de leur efficacité thérapeutique et/ou indésirables sur le long terme. Lorsqu’il est question de donner une valeur réelle à des médicaments aux caractères scientifiques très spécifiques (durée du traitement variable, traitement en one-shot, combinaison avec d’autres traitements traditionnels), il est essentiel de sortir des cadres traditionnels construit autour de la question de la tarification de médicaments.
Selon Christophe DUGUET, Directeur des affaires publiques de l’AFM-Téléthon, il faut être capable de s’octroyer une vision bien plus large que celle uniquement du prix en prenant en compte le financement de l’accès à ces traitements pour les patients. Pris sous cet angle-là, il ne se pose plus uniquement la question du prix auquel le médicament est acheté, mais aussi la question du financement de l’ensemble de processus de mise à disposition de ce traitement. Si l’accord-cadre a consacré des chapitres aux thérapies géniques sur l’orientation à suivre dans la gestion des incertitudes et de la tarification de ces thérapies, il existe encore aujourd’hui des vides institutionnels. À cet égard, rappel Christophe DUGUET, rien n’est aujourd’hui prévu pour le financement liés à l’arrivée de ces traitements dans les hôpitaux en termes d’évaluation, de nouveaux tableaux cliniques avec des facteurs handicapants, de suivi, d’analyse et de classification des données liées aux patients traités par thérapie génique à l’hôpital. Étant des thérapies innovantes, leur niveau d’incertitude ne pourra très certainement pas être levé sur le court-terme.
Les modèles classiques préconisent l’évaluation médico-économique afin d’évaluer les coûts globaux du médicament. La question posée lors du webinaire n’est autre que la suivante : souhaite-t-on attendre des années avant de pouvoir approprier un prix à des thérapies susceptibles de soigner des patients qui n’ont aucune autre alternative thérapeutique ? Cette question trouve toute sa légitimité si l’on part du constat, qu’en France, il existe 7000 maladies rares dont le ¾ sont des maladies méga-rares et pour lesquels la thérapie génique est porteuse d’un véritable espoir pour les patients. Continuer à exercer des logiques économiques incompatibles à ce type de thérapies entrainera les acteurs des thérapies géniques à se positionner sur le marchés de maladies moyennement rares, laissant de côté les patients atteint par ces maladies rares.
Comment surmonter les défis de bioproduction qui se posent à l’Europe et la France
La France jouit au niveau européen d’un marché pionnier dans les thérapies géniques avec selon les chiffres du Leem, 36 sociétés et près de 115 acteurs qui innovent tous les jours sur le plan scientifique. Néanmoins et malgré un potentiel scientifique conséquent, la France fait face à un défi social majeur, celui de la peur d’innover trop vite et de bouger ces lignes bureaucratiques propres à la société française. Il est essentiel de changer les mentalités face au prix de financement des thérapies innovantes, comme celles des thérapies géniques. En effet, produire ces thérapies coûte cher, mais l’innovation même à un prix exorbitant ne devrait pas être un frein dans la production de thérapies pour les patients atteints de maladies rares ou sévères. Éduquer le grand public et les politiques est une priorité dans l’avancement et l’acceptation de ces thérapies tout comme sortir des fantasmes créés autour du fonctionnement de la thérapie génique. Le débat et le scepticisme autour des vaccins anti-covid ne sont qu’une preuve de plus que sans une véritable explication accessible à toute la société, l’adhésion et l’insertion sociétale de ces thérapies sera un frein de plus pour propulser la France en tant que leader international des thérapies géniques. Avec 41 molécules en développement préclinique et 101 en phase 1, la France a certainement les atouts pour devenir un leader européen considérable. Comme l’a rappelé Nicolas GROUX, Directeur Général de MabDesign, pour en arriver à un niveau de bioproduction conséquent, il est essentiel que la France réussisse à conserver son expertise et ses experts sur le marché tout en octroyant une part importante à la formation de biologistes au numérique, à l’IA, à la robotique, au suivi en ligne.
François HOUYEZ, Treatment Information and Access Director / Health Policy Advisor, European Organisation for Rare Diseases (Eurordis) souligne l’importance de faciliter la mise en réseau au niveau européen. Aujourd’hui, le marché européen de santé peine à trouver une forme d’harmonisation. Un véritable travail de facilitation pour les biotech des critères d’accès au marché doit être fait afin de faciliter les négociations de marché, de prix, de suivi ainsi que de remboursement. D’autant plus que selon l’Agence Européenne, on estime que le nombre de demandes d’autorisation de mise sur le marché augmentera à une dizaine par an. Comme l’explique Nicolas GROUX « au regard des compétiteurs internationaux, le raisonnement de la France doit fort logiquement se faire à minima au niveau européen. »
La crise de la covid-19 a par ailleurs mis en exergue la nécessité imminente de retrouver une souveraineté en termes de bioproduction tant au niveau national qu’européen. Tributaires des fournisseurs internationaux américains et chinois, la problématique de ruptures d’approvisionnement n’a laissé ni la France, ni l’Europe indemnes pendant la crise. Les chiffres relatés lors de la conférence laissent fortement à réfléchir à cette question d’indépendance. On compte entre 2007 et 2021, une rupture de 22 000 médicaments pour 172 000 épisodes de rupture. Les intervenants ont tous insisté sur cette capacité à avoir en France et en Europe, une chaîne d’approvisionnement et de matières premières qui soit viable et pérenne sur le long-terme. Néanmoins, tous ont aussi souligné la nécessité de relocaliser en mettant en place des systèmes de backup conséquent en cas de problèmes quelconque sur les sites ou de rupture de produits. Comme l’explique Philippe BERTA, Député du Gard, Président du groupe d’études de l’Assemblée nationale sur les maladies rares, la chose la plus essentielle à faire en France, c’ est « sortir de la bureaucratie et comprendre qu’il faut arrêter de travailler en silos ».
Spécialisés notamment dans le recrutement d’ingénieurs en validation de méthodes, validation de procédés, de chefs de projets, de directeur R&D, qualité, affaires réglementaires etc. PERSUADERS accompagne aujourd’hui plusieurs biotech du secteur en France et à l’étranger.